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alors qu’il en coûtait si peu pour l’être et que les nouveaux docteurs, à commencer par Cherbury, avaient sans cesse à la bouche ce mot de nature, qui sera pour le dix-huitième siècle le mot de l’énigme universelle : « Tout ce qui n’est pas dans la nature, dit Voltaire de Cherbury, lui paraissait absurde ». Les philosophes penseront d’abord comme Cherbury et Voltaire et professeront la religion naturelle, en attendant que quelques-uns d’entre eux, comme d’Holbach et Diderot, passent de la religion naturelle à l’athéisme, qui est plus « naturel » encore.

Mais, ce qu’on a trop oublié, Philosophes français et Déistes anglais avaient été préalablement instruits et comme armés en guerre, contre la religion révélée, à la fois par les sceptiques de France et les esprits tolérants de Hollande aux seizième et dix-septième siècles. On oublie, par exemple, la grande influence qu’exerça l’esprit français sur l’Angleterre à l’époque de Charles II, ce pensionnaire de Louis XIV, c’est-à-dire à l’époque même où le déisme commença à se propager en Angleterre. Et le père même du déisme, Herbert de Cherbury, n’est-ce pas après trois séjours prolongés en France, n’est-ce pas à Paris même, en son hôtel de la rue de Tournon, qu’il termina (en 1624) son livre fameux de Veritate[1] ? Or, un an avant, il y avait à Paris, nous dit expressément le père Mersenne, 50 000 déistes ou athées, c’était tout un pour lui (athei et deistæ). C’étaient là, si l’on veut, des étincelles éparses, mais qui suffisaient pour allumer chez nous ce flambeau de la libre pensée que nos philosophes semblèrent ou, mieux encore, et nous dirons tout à l’heure pourquoi, qu’ils firent semblant de prendre des mains des déistes anglais, pour l’agiter sur la France et le monde.

Remarquons encore que l’expression même de « religion naturelle » se rencontre pour la première fois dans les écrits d’un Français, de Jean Bodin ; la conclusion de son livre,

  1. Shaftesbury lui-même, dans sa jeunesse, était venu à Paris et avait passé un an en Hollande près de Bayle et de Le Clerc.