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que le philosophisme est né en Angleterre ; je ne saurais souscrire à cette proposition. L’histoire des Jacobins anciens démontre que cette secte existait depuis longtemps, mais elle était rentrée dans les clubs souterrains. À l’époque où Voltaire parut, on les appelait des Libertins[1]. »

Mais alors pourquoi les philosophes français ont-ils sans cesse à la bouche les Tindal et les Bolingbroke, pourquoi les commentent-ils sans fin et répètent-ils à satiété que c’est l’Angleterre qui leur a appris à penser librement ? C’est d’abord, l’Angleterre étant très à la mode, pour s’autoriser de leur exemple et en même temps de la liberté dont ils jouissaient dans leur pays, où ils combattaient à ciel ouvert ; c’est ensuite pour pouvoir opposer au catholicisme français, non plus seulement de frivoles sceptiques sans conséquence, comme étaient les Libertins, leurs véritables ancêtres, mais des écrivains considérés et des érudits dont ils exagéraient habilement d’ailleurs l’honorabilité et la valeur scientifique. Ils leur empruntent, à coup sûr, tantôt un argument et tantôt un quolibet contre les miracles et contre la révélation : par exemple, ils s’amuseront, après Woolston, des pourceaux exorcisés par le Christ ou des Mages qui viennent tout exprès de l’Orient pour offrir à Jésus de l’encens et de la myrrhe (beau cadeau à faire à un enfant !) Mais qui ne voit que les calembredaines de ce genre étaient depuis longtemps la monnaie courante de nos sceptiques et de nos libertins et que, par conséquent, les philosophes n’avaient nul besoin d’aller à l’école des déistes pour apprendre à douter de la Genèse et à railler, avec plus ou moins de finesse, leurs naïfs commentateurs ? Les déistes anglais ne pouvaient donc pas être pour les Encyclopédistes, comme on l’a répété à tort, de véritables initiateurs : mais ils furent pour eux d’utiles alliés et de bons compères dans leur commune croisade contre une orthodoxie qui

  1. Comp. d’Argenson, VIII, 15 mai 1753, et M. Brunetière, qui, le premier, a réduit à sa juste valeur la dette des philosophes français envers l’Angleterre (Revue des Deux-Mondes, 1er novembre 1889, et Évolution des genres, I, 161.)