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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/78

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à prendre les hommes comme ils sont et les abus comme vices unis à l’humaine société : « Il faut faire comme les moines, disait-il ; il faut laisser mundum ire quomodo vadit. » Mais il est des temps où il serait très fâcheux qu’il n’y eût au monde que des Philinte et l’un de ces temps était celui où vivait Buffon. La diatribe de Rousseau contre le Philinte de Molière, quelque outrée qu’elle soit, ne manquait pas complètement d’à-propos à la veille de la Révolution : « Philinte est un de ces gens modérés qui trouvent que tout va bien, qui soutiennent qu’il n’est pas vrai que le peuple ait faim ; qui, le gousset bien garni, trouvent fort mauvais qu’on déclame en faveur des pauvres. » Bien nous en prend à cette heure que des philosophes, aussi bilieux que Buffon était phlegmatique, aient eu le mauvais goût de déclamer contre des injustices dont, grâce à eux, nous n’avons plus à souffrir.

Hâtons-nous d’ajouter que, si Buffon ne s’associa pas plus aux vaines querelles qu’aux légitimes revendications des philosophes, cependant, par l’esprit même et la portée de son œuvre, et qu’il le voulût ou non, il était, au fond, bien des leurs ; des deux causes que défend, on le verra plus tard, l’Encyclopédie, une cause scientifique et une cause sociale, si l’auteur de l’Histoire naturelle resta complètement étranger à la seconde, il servit admirablement la première ; et même on peut dire que, ces deux causes étant solidaires l’une de l’autre, Buffon fut en somme un des plus précieux auxiliaires de l’Encyclopédie, la science, même la plus désintéressée, ayant pour résultat nécessaire d’affranchir cette même raison que les Encyclopédistes devaient mettre définitivement hors de page. Mais il y a plus : s’il est une science que les Encyclopédistes tiennent particulièrement en honneur, c’est l’histoire naturelle à laquelle, on le verra, ils tendent à ramener toutes les autres. Comme Zadig, ils se piquent de « connaître les principes de la nature et de savoir de la métaphysique ce qu’on en a su dans tous les âges, c’est-à-dire fort peu de chose. » Or cette science de la nature, qu’ils poursuivent