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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/9

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laïques, mais les clercs, c’est-à-dire ceux qui, en renonçant au monde, fourniront à l’Église une docile milice, à l’aide de laquelle elle gouvernera le monde. N’est-ce pas, en effet, au sacerdoce, c’est-à-dire aux ascètes et aux purs, à guider et, par conséquent, à gouverner les autres hommes, lesquels, étant plongés dans de coupables plaisirs, sont voués au mal et à la perdition ? C’est comme par un détour paradoxal, c’est en prêchant le renoncement aux choses de la terre, que l’Église du moyen âge a conquis l’empire de la terre. Voltaire ne croyait pas si bien dire quand il plaisantait de la sorte : « Des hommes qui font vœu de pauvreté obtiennent, en vertu de ce nom, jusqu’à deux cent mille écus de rente et, en conséquence de leur vœu d’humilité, sont des souverains despotiques[1]. » La croix fut donc, au moyen âge, un signe de soumission et de domination à la fois : soumission des hommes à Dieu et domination du prêtre, ministre de Dieu, sur tous les hommes. On voit comment le pouvoir de l’Église vient de sa doctrine même, c’est-à-dire comment la théocratie est fondée sur l’ascétisme. Et maintenant, le prêtre étant le représentant de Dieu, résister au prêtre, ce sera résister à Dieu ; « l’Église, c’est Dieu », dit saint Jean-Chrysostome ; dès lors, les hérétiques, c’est-à-dire les ennemis de l’Église ou les ennemis de Dieu, ne sauraient être assez persécutés dans l’intérêt de leur âme qu’il faut sauver, même malgré eux : « Toute croyance non catholique, dit saint Augustin, entraînant des châtiments éternels, c’est la tolérance qui est cruelle. » Ainsi, la doctrine catholique du moyen âge ou, ce qui en est l’âme,

    le ciel… À ces préceptes, Jésus-Christ joint des conseils de perfection éminente : renoncer à tout plaisir ; vivre dans le corps comme si on était sans corps ; quitter tout, donner tout aux pauvres pour ne posséder que Dieu seul… Le célibat est une imitation de la vie des anges, uniquement occupée de Dieu et des chastes délices de son amour. » (Disc. sur l’hist. univ., p. II, ch. XIX). Ailleurs enfin : « Le mariage présuppose la concupiscence… ; c’est un mal, dit saint Augustin, dont l’impureté use mal, dont le mariage use bien, et dont la virginité et la continence font mieux de n’user point du tout. » (Max. et réfl. sur la comédie, VI.)

  1. Dictionnaire philosophique, art. Contradictions.