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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/91

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sément. Et, se conformant à ce prudent précepte, les frères entassaient dans le Dictionnaire « les petites orthodoxies » et les pieux mensonges, et Voltaire était ravi de leur savoir-faire et de leur adresse à mentir, lui qui avait écrit un jour le mot fameux : « Il faut mentir comme un diable ; non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. » Seulement, s’il y avait, à être sincère, un danger certain, qui était la Bastille, il y avait aussi, à trop mentir, un inconvénient : c’est qu’alors l’Encyclopédie ne signifiait plus rien ; elle devenait inutile à force de se faire inoffensive, et Voltaire aussitôt de se plaindre qu’on va trop loin, c’est-à-dire, qu’on ment trop ou trop lourdement. Les articles de théologie particulièrement « lui serrent le cœur : il est bien cruel d’imprimer le contraire de ce qu’on pense » ! Il est plaisant alors d’entendre ce même Voltaire qui, pour n’être pas brûlé, faisait provision d’eau bénite et qui communiait de si bonne grâce (car qu’est-ce, après tout, que la communion, sinon un « mince déjeuner » ?) ; il est plaisant, dis-je, d’entendre Voltaire reprocher sérieusement à d’Alembert et à ses amis leur manque de courage et « de laisser avilir l’Encyclopédie par de lâches complaisances pour des fanatiques ». D’Alembert le rassurait en lui recommandant de lire l’article figure ou des articles « bien plus forts » encore, lui expliquait que ce style de notaire ne trompait personne, bref, s’évertuait sans cesse à mettre au pas cet enfant terrible qui prétendait de loin diriger l’armée sans connaître les mille péripéties de cette guerre savante, dont il était, lui, d’Alembert, le véritable tacticien.

Quant à Diderot, il entendait bien rester, même après l’entrée de Voltaire à l’Encyclopédie, le véritable directeur. Plus d’une fois, il oublie ou néglige de lui écrire une lettre qu’il lui doit, grave maladresse ou peut-être impertinence voulue qui indigne et stupéfie Voltaire. Il reste une fois deux mois sans lui répondre, à lui Voltaire, que princes et rois n’ont jamais fait attendre si longtemps : « Quand j’écris au roi de Prusse, il m’honore d’une réponse dans la huitaine ». Deux ans plus tard, plainte du même genre à