Aller au contenu

Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Avant tout, il faut s’unir, « composer une meute » et contre qui ? uniquement contre les fanatiques : « En un mot, je vous recommande l’infâme, c’est là l’essentiel. » Et, en vue de cet essentiel, il faut savoir se faire d’utiles alliés, ménager les protecteurs, pour mieux humilier « les polissons protégés » ; ne pas oublier, par exemple, qu’on a besoin des hommes d’État contre les hommes de Dieu. Vous vous déclarez, dit-il à d’Alembert, l’ennemi des grands et vous avez raison : « mais ces grands protègent dans l’occasion, ils peuvent faire du bien ; ils ne persécuteront jamais les philosophes pour peu que les philosophes daignent s’humaniser avec eux. » Pour lui, qui a toujours été « un bon sujet du roi », il se fait un devoir d’envoyer à Stanislas (bien qu’il soit l’ennemi des Encyclopédistes), son Histoire de Pierre le Grand, et chacun sait que « M. de Choiseul et Mme de Pompadour l’honorent d’une protection très marquée. » Voilà à quoi sert de « n’attaquer jamais plus fort que soi. » Mais qu’apprend-il un beau jour ? Morellet, dans sa Vision de Palissot, s’est avisé de railler la princesse de Robecq, laquelle s’était fait porter, toute malade, à la représentation des Philosophes de Palissot. Aussitôt Voltaire fulmine : attaquer une femme, une mourante ! « C’est le tombeau ouvert pour les frères. » Il est chevaleresque, on le voit, comme il convient à l’auteur de Tancrède. Mais est-ce bien vraiment à la femme qu’il s’intéresse ici, lui qui n’a pas craint de nous montrer l’auteur prétendu de l’Écossaise, Carré, « barbouillé de deux baisers par la femme de Fréron » ? C’est qu’il y a entre ces deux femmes une distance infinie et nul n’observe mieux que lui les distances : il les marque le mieux du monde dans le passage suivant : « Il faut se moquer des Fréron, des Chaumeix et respecter les dames, surtout les Montmorency » — et Mme de Robecq était justement une Montmorency.

Heureusement, il y avait un sage à l’Encyclopédie, « le vrai et le seul sage », d’Alembert, qui s’entendait, aussi bien et mieux que Voltaire, à frapper et à cacher sa main, comme ce dernier ne cessait de le lui recommander expres-