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Page:Dufour - Étude sur l’esthétique de Jules Laforgue, 1904.djvu/27

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compte de la peinture, définie par rapport à la fonction de son organe propre, l’œil : l’art de la couleur.

Comme s’il ne suffisait point d’assujettir l’art à la littérature, Taine l’asservit encore à la morale. Il lui retranche le droit à une vie propre, indépendante. Il nous fait reculer jusqu’aux Salons de Diderot et aux compositions édifiantes de Greuze. Il nous ramène à la sensiblerie prédicante du xviiie siècle. Plus loin encore, même au delà d’Aristote, dont la « purgation de la crainte et de la pitié », — interprétée, grâce à l’exégèse des Weil et des Bernays, selon son vrai sens, physiologique, — émancipait la tragédie (et, sans doute, la comédie, et peut-être aussi les autres genres et les arts) de la lourde et stérilisante tutelle de l’éthique.

De cette esthétique, il faut bien reconnaître que rien ne demeure debout. Laforgue admirait, sans doute, l’effort intellectuel dont elle témoigne. Il ne l’eût point si méthodiquement réfutée, s’il ne l’avait tenue pour considérable. Il en accepte le postulat, — d’où il partira lui–même : la philosophie de l’art doit être basée sur la science. Mais Taine a formulé des lois contestables, proposé un idéal étroit, parce qu’à son insu ou de propos délibéré il a fait intervenir dans la suite de son raisonnement des considérations littéraires et morales.

En manière de conclusion, Laforgue a porté sur l’œuvre de son devancier un jugement définitif : « Après tous ces vivants tableaux d’époques et ces milieux et son esthétique historique, et son dilettantisme, M. Taine en revient au despotique idéal d’harmonie des spiritualistes, quoique par des chemins plus vivants et plus modernes,