Page:Dufour - Étude sur l’esthétique de Jules Laforgue, 1904.djvu/35

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moral, le beau physique, l’harmonie, le style, etc., tout ce qui est église constituée en dehors de laquelle point de salut, hiératisme ou académisme. »

Deuxième conséquence : de même qu’il n’est point de beau absolu, il n’y a pas de goût absolu humain. Il y a le sentiment du beau de tel homme, le goût de tel individu. Encore ce goût n’est-il qu’une somme. En effet, le sentiment que j’éprouve, en ce moment, devant une œuvre, de quelque genre, époque ou latitude qu’elle soit, n’a pas plus d’autorité que celui que j’en eus ou que j’en aurai dans d’autres phases de mon évolution. Mais cette évolution achevée, l’on pourrait extraire de tous ces sentiments successifs, également légitimes, mon sentiment du beau, mon goût, qui ne serait donc qu’une moyenne. Est-il besoin d’ajouter que cette moyenne n’aura ni plus ni moins d’autorité que la moyenne de chacun de mes contemporains ? Mais de toutes ces moyennes une nouvelle moyenne pourra être prise, et ce sera la formule de la sensibilité esthétique de ma génération. Procédant toujours selon la même discipline et prenant les moyennes des générations défuntes, nous aurons en une échelle de formules, tous les degrés, également autorisés, de la sensibilité esthétique de l’humanité. Par un dernier effort de l’abstraction, tout « se résout en une certaine âme humaine, qui, pour ne veiller adéquatement en aucune âme existante peut-être, mais morcelée en plusieurs, ne s’en conserve pas moins invisiblement impérissable, prête aux crises révélatrices des expériences de demain ».