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cette maladie désespérée des civilisations en décadence : le dégoût du travail et la soif du plaisir. » Notre jeune nation glisserait-elle dans la corruption romaine, avant même son adolescence ? Aurait-elle, parmi les Américains, le triste sort des Barbares qui ne prirent de Rome que ses festins et son luxe, et auxquels « il arriva ce qui arrive à toute société jeune et sans expérience, mise en contact avec une société vieille et blasée : leurs mœurs s’altérèrent avec une rapidité prodigieuse, et d’un état qui était presque celui de nature, ils tombèrent d’emblée dans une espèce de décrépitude sénile, sans passer par les phases intermédiaires : c’est la pourriture du fruit vert »…[1]

Souffrirons-nous que ce soit là notre affaire ? Mais non, nous n’en sommes pas là : notre peuple est capable de se ressaisir si l’on veut seulement lancer le cri d’alarme et se mettre à sa tête. Ici comme en France on peut répéter la parole de M. Méline : « Donnez à la campagne les mêmes avantages qu’à la ville, et son procès est gagné. » À tous les agents de désertion qui faisaient du zèle et qui en font encore, chez nous et chez les Acadiens, pour fasciner les convoitises avec leurs breloques et leurs promesses d’aises et d’aisance aux États-Unis, et qui discréditent la terre avec ses fatigues et ses ennuis, la terre insultée ne trouvait pas d’avocats et plaidait coupable, ou ne pouvait rétorquer que des abstractions, des raisons de sentiments, de fidélité au sol, ou des offres de colonisation dans des conditions défectueuses avec la misère, le manque de chemins, les tracasseries gouvernementales et l’impossibilité de bien vendre ses produits.

Mais les temps sont changés : la colonisation est en train de se faire alléchante, et, par contre, la ville a perdu bien de ses charmes, à la crise de 1913-14, et ses parts

  1. Ibid. p. 162.