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l’objet de la théorie physique

métaphysique ; ils en font un objet plus petit que tout ce qu’on peut concevoir. Mais, si l’atome est d’une inconcevable petitesse, pourquoi l’action chimique n’est-elle pas infiniment rapide ? La chimie est impuissante à traiter cette question et beaucoup d’autres problèmes d’une plus haute importance ; elle est arrêtée par la rigidité de ses suppositions premières, qui l’empêchent de regarder un atome comme une portion réelle de matière, occupant un espace fini, d’une petitesse qui n’échappe pas à toute mesure, et servant à constituer tout corps palpable. »

Les corps avec lesquels le physicien anglais construit ses modèles ne sont pas des conceptions abstraites élaborées par la métaphysique ; ce sont des corps concrets, semblables à ceux qui nous entourent, solides ou liquides, rigides ou flexibles, fluides ou visqueux ; et par solidité, fluidité, rigidité, flexibilité, viscosité, il ne faut pas entendre des propriétés abstraites, dont la définition se tirerait d’une certaine cosmologie ; ces propriétés ne sont nullement définies, mais imaginées au moyen d’exemples sensibles : la rigidité évoque l’image d’un bloc d’acier ; la flexibilité, celle d’un fil de cocon ; la viscosité, celle de la glycérine. Pour exprimer d’une manière plus saisissante ce caractère concret des corps avec lesquels il fabrique ses mécanismes, W. Thomson ne craint pas de les désigner par les termes les plus vulgaires ; il les appelle des renvois de sonnette, des ficelles, de la gelée. Il ne saurait marquer d’une manière plus nette qu’il ne s’agit pas de combinaisons destinées à être conçues par la raison, mais de mécaniques destinées à être vues par l’imagination.