Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
théories abstraites et modèles mécaniques

tions, le saut du cavalier par exemple, sont assez complexes pour déconcerter une faible faculté imaginative.

La différence qui sépare le jeu de dames du jeu d’échecs se retrouve entre la classique algèbre que nous employons tous et les diverses algèbres symboliques qui ont été créées au xixe siècle. L’algèbre classique ne comprend que quelques opérations élémentaires, représentées par un symbole spécial, et chacune de ces opérations est assez simple ; un calcul algébrique compliqué n’est qu’une longue suite de ces opérations élémentaires peu nombreuses, une longue manipulation de ces quelques signes. L’objet d’une algèbre symbolique est d’abréger la longueur de ces calculs ; dans ce but, elle adjoint aux opérations élémentaires de l’algèbre classique d’autres opérations qu’elle traite comme élémentaires, qu’elle figure par un symbole spécial, et dont chacune est une combinaison, une condensation, effectuée suivant une règle fixe, d’opérations empruntées à l’ancienne algèbre. En une algèbre symbolique, on pourra effectuer presque tout d’un coup un calcul qui, dans l’ancienne algèbre, se décompose en une longue suite de calculs intermédiaires ; mais on aura à se servir d’un très grand nombre de signes différents les uns des autres, dont chacun obéit à une règle très complexe. Au lieu de jouer aux dames, on jouera à une sorte de jeu d’échecs où une foule de pièces distinctes doivent marcher chacune à sa manière.

Il est clair que le goût des algèbres symboliques est un indice d’amplitude d’esprit et qu’il sera particulièrement répandu chez les Anglais.

Cette prédisposition du génie anglais aux calculs