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l’objet de la théorie physique

algébriques condensés ne se reconnaîtrait peut-être pas d’une manière nette si nous nous bornions à passer en revue les mathématiciens qui ont créé de tels systèmes de calcul. L’École anglaise citerait avec orgueil le calcul des quaternions, imaginé par Hamilton ; mais les Français pourraient lui opposer la théorie des clefs de Cauchy et les Allemands l’Ausdehnungslehre de Grassmann. De cela, il n’y a point à s’étonner ; en toute nation se rencontrent des esprits amples.

Mais chez les Anglais seuls l’amplitude d’esprit se trouve d’une manière fréquente, habituelle, endémique ; aussi est-ce seulement parmi les hommes de science anglais que les algèbres symboliques, le calcul des quaternions, la vector-analysis sont usuels ; la plupart des traités anglais se servent de ces langages complexes et abrégés. Ces langages, les mathématiciens français ou allemands ne les apprennent pas volontiers ; ils n’arrivent jamais à les parler couramment ni surtout à penser directement sous les formes qui les composent ; pour suivre un calcul mené selon la méthode des quaternions ou de la vector-analysis, il leur en faut faire la version en algèbre classique. Un des mathématiciens français qui avaient le plus profondément étudié les diverses espèces de calculs symboliques, Paul Morin, me disait un jour : « Je ne suis jamais sûr d’un résultat obtenu par la méthode des quaternions avant de l’avoir retrouvé par notre vieille algèbre cartésienne. »

Le fréquent usage que les physiciens anglais font des diverses sortes d’algèbres symboliques est donc une manifestation de leur amplitude d’esprit ; mais si cet usage impose à leur théorie mathématique un vête-