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l’objet de la théorie physique

On comprend, dès lors, la prédilection de Gassendi pour la Cosmologie épicurienne ; sauf leur extrême petitesse, les atomes qu’il se figure ressemblent fort aux corps qu’il a, chaque jour, occasion de voir et de toucher ; ce caractère concret, saisissable à l’imagination, de la Physique de Gassendi se montre en pleine lumière dans le passage suivant[1], où le philosophe explique à sa manière les sympathies et les antipathies de l’École : « Il faut comprendre que ces actions se produisent comme celles qui s’exercent d’une manière plus sensible entre les corps ; la seule différence est que les mécanismes qui sont gros dans ce dernier cas sont très déliés dans le premier. Partout où la vue ordinaire nous montre une attraction et une union, nous voyons des crochets, des cordes, quelque chose qui saisit et quelque chose qui est saisi ; partout où elle nous montre une répulsion et une séparation, nous voyons des aiguillons, des piques, un corps quelconque qui fait explosion, etc. De même, pour expliquer les actions qui ne tombent pas sous le sens vulgaire, nous devons imaginer de petits crochets, de petites cordes, de petits aiguillons, de petites piques, et autres organes de même sorte ; ces organes sont insensibles et impalpables ; il ne faut pas en conclure qu’ils n’existent pas. »

À toutes les périodes du développement scientifique, on rencontrerait, parmi les Français, des physiciens apparentés intellectuellement à Gassendi et désireux, comme lui, de donner des explications que l’imagination puisse saisir. Parmi les théoriciens qui honorent

  1. Gassendi : Syntagma Philosophicum, IIe pars, l. VI, c. xiv.