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l’objet de la théorie physique

lire attentivement de tels écrits ; les paralogismes les plus énormes, les calculs les plus faux s’y étalent en pleine lumière ; sous l’influence des enseignements industriels, la Physique théorique est devenue un perpétuel défi à la justesse d’esprit.

Car le mal n’atteint point seulement les livres et les cours destinés aux futurs ingénieurs. Il a pénétré partout, propagé par les méprises et les préjugés de la foule, qui confond la science avec l’industrie ; qui, voyant passer la voiture automobile poudreuse, haletante et puante, la prend pour le char triomphal de la pensée humaine. L’enseignement supérieur est déjà contaminé par l’utilitarisme, et l’enseignement secondaire est en proie à l’épidémie. Au nom de cet utilitarisme, on fait table rase des méthodes qui avaient servi, jusqu’ici, à exposer les sciences physiques ; on rejette les théories abstraites et déductives ; on s’efforce d’ouvrir aux élèves des vues inductives et concrètes ; on entend mettre dans les jeunes esprits non des idées et des principes, mais des nombres et des faits.


Ces formes inférieures et dégradées des théories d’imagination, nous ne nous attarderons pas à les discuter longuement.

Aux snobs, nous ferons remarquer que, s’il est aisé de singer les travers d’un peuple étranger, il est plus malaisé d’acquérir les qualités héréditaires qui le caractérisent ; qu’ils pourront bien renoncer à la force de l’esprit français, mais non point à son étroitesse ; qu’ils rivaliseront facilement de faiblesse avec l’esprit anglais, mais non pas d’amplitude ; qu’ainsi, ils se con-