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théories abstraites et modèles mécaniques

réclame un enseignement de peu de durée ; il a hâte de battre monnaie avec ses connaissances ; il ne saurait prodiguer un temps qui, pour lui, est de l’argent. Or, la Physique abstraite, préoccupée, avant tout, de l’absolue solidité de l’édifice qu’elle élève, ignore cette hâte fiévreuse ; elle entend construire sur le roc et, pour l’atteindre, creuser aussi longtemps qu’il sera nécessaire ; de ceux qui veulent être ses disciples, elle exige un esprit rompu aux divers exercices de la logique, assoupli par la gymnastique des sciences mathématiques ; elle ne leur fait grâce d’aucun intermédiaire, d’aucune complication. Comment ceux qui se soucient de l’utile, et non du vrai, se soumettraient-ils à cette rigoureuse discipline ? Comment ne lui préféreraient-ils pas les procédés plus rapides des théories qui s’adressent à l’imagination ? Ceux qui ont mission de donner l’enseignement industriel sont donc vivement pressés d’adopter les méthodes anglaises, d’enseigner cette Physique qui, même dans les formules mathématiques, ne voit que des modèles.

À cette pression, la plupart d’entre eux n’opposent aucune résistance ; bien au contraire ; ils exagèrent encore le dédain de l’ordre et le mépris de la rigueur logique qu’avaient professés les physiciens anglais ; au moment d’admettre une formule dans leurs leçons ou leurs traités, ils ne se demandent jamais si cette formule est exacte, mais seulement si elle est commode et si elle parle à l’imagination. À quel degré ce mépris de toute méthode rationnelle, de toute déduction exacte, se trouve porté dans maint écrit consacré aux applications de la Physique, c’est chose à peine croyable pour qui n’a pas eu la pénible obligation de