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théories abstraites et modèles mécaniques

Comment répondrons-nous à cette question, qui, à l’heure actuelle, se pose à nous d’une manière si pressante : Est-il permis de symboliser soit plusieurs groupes distincts de lois expérimentales, soit même un groupe unique de lois, au moyen de plusieurs théories dont chacune repose sur des hypothèses inconciliables avec les hypothèses qui portent les autres ?

À cette question, nous n’hésitons pas à répondre ceci : Si l’on s’astreint a n’invoquer que des raisons de logique pure, on ne peut empêcher un physicien de représenter par plusieurs théories inconciliables soit des ensembles divers de lois, soit même un groupe unique de lois ; on ne peut condamner l’incohérence dans la théorie physique.

Une pareille déclaration scandaliserait fort ceux qui regardent une théorie physique comme une explication des lois du monde inorganique ; il serait, en effet, absurde de prétendre que deux explications distinctes d’une même loi sont exactes en même temps ; il serait absurde d’expliquer un groupe de lois en supposant que la matière est réellement constituée d’une certaine façon et un autre groupe de lois en la supposant constituée d’une tout autre manière. La théorie explicative doit, de toute nécessité, éviter jusqu’à l’apparence d’une contradiction.

Mais si l’on admet, comme nous avons cherché à l’établir, qu’une théorie physique est simplement un système destiné à classer un ensemble de lois expérimentales, comment puiserait-on, dans le code de la logique, le droit de condamner un physicien qui emploie, pour ordonner des ensembles différents de lois, des procédés de classification différents, ou qui