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l’objet de la théorie physique

à ce dernier mode de représentation et que je m’en tiens plus assuré que de tout autre ; mais je ne saurais élever aucune objection de principe contre une méthode suivie par d’aussi grands physiciens. »

D’ailleurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de savoir si les esprits torts toléreront que les Imaginatifs fassent usage de représentations et de modèles, mais bien de savoir s’ils garderont eux-mêmes le droit d’imposer aux théories physiques l’unité et la coordination logiques. Les Imaginatifs ne se bornent plus, en etfet, à prétendre que l’emploi de figures concrètes leur est indispensable pour comprendre les théories abstraites ; ils affirment qu’en créant pour chacun des chapitres de la Physique un modèle mécanique ou algébrique approprié, sans lien avec le modèle qui a servi à illustrer le chapitre précédent ou qui servira à représenter le chapitre suivant, on donne satisfaction à tous les désirs légitimes de l’intelligence ; que les tentatives par lesquelles certains physiciens s’efforcent de construire une théorie logiquement enchaînée, assise sur le nombre le plus petit possible d’hypothèses indépendantes et formulées avec précision, est un labeur qui ne répond à aucun besoin d’un esprit sainement constitué ; que, par conséquent, ceux qui ont mission de diriger les études et d’orienter la recherche scientifique doivent, en toute occurrence, détourner les physiciens de ce vain labeur.

À ces affirmations, que l’on entend répéter à chaque instant, sous cent formes différentes, par tous les esprits faibles et utilitaires, qu’opposerons-nous pour maintenir la légitimité, la nécessité et la prééminence des théories abstraites, logiquement coordonnées ?