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théories abstraites et modèles mécaniques

La logique ne fournit donc point d’argument sans réplique à qui prétend imposer à la théorie physique un ordre exempt de toute contradiction ; cet ordre, trouvera-t-on des raisons sufiisantes pour l’imposer si l’on prend comme principe la tendance de la Science vers la plus grande économie intellectuelle ? Nous ne le croyons pas.

En commençant ce chapitre, nous avons montré combien ditïerente pouvait être l’appréciation des divers esprits touchant l’économie de pensée qui résulte d’une certaine opération intellectuelle ; nous avons vu que là où un esprit fort, mais étroit, ressentait un allégement, un esprit ample, mais faible, éprouvait un surcroît de fatigue.

Il est clair que les esprits adaptés à la conception des idées abstraites, à la formation des jugements généraux, à la construction des déductions rigoureuses, mais faciles à égarer dans un ensemble quelque peu compliqué, trouveront une théorie d’autant plus satisfaisante, d’autant plus économique, que l’ordre en sera plus parfait, que l’unité en sera moins souvent brisée par des lacunes ou des contradictions.

Mais une imagination assez ample pour saisir d’une seule vue un ensemble compliqué de choses disparates, pour ne pas éprouver le besoin qu’un tel ensemble soit mis en ordre, accompagne en général une raison assez faible pour craindre l’abstraction, la généralisation, la déduction. Les esprits où sont associées ces deux dispositions trouveront que le labeur logique considérable qui coordonne en un système unique divers fragments de théorie leur cause plus de peine que la vision de ces fragments disjoints ; ils