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l’objet de la théorie physique

ne jugeront nullement que le passage de l’incohérence à l’unité soit une opération intellectuelle économique.

Ni le principe de contradiction, ni la loi de l’économie de la pensée ne nous permettent de prouver d’une manière irréfutable qu’une théorie physique doit être logiquement coordonnée ; d’où tirerons-nous donc argument en faveur de cette opinion ?

Cette opinion est légitime parce qu’elle résulte en nous d’un sentiment inné, qu’il n’est pas possible de justifier par des considérations de pure logique, mais qu’il n’est pas possible non plus d’étouffer complètement. Ceux-là mêmes qui ont développé des théories dont les diverses parties ne sauraient s’accorder les unes les autres, dont les divers chapitres décrivent autant de modèles mécaniques ou algébriques, isolés les uns des autres, ne l’ont fait qu’à regret, à contrecœur. Il suffit de lire la préface mise par Maxwell en tête de ce Traité d’Èlectricité et de Magnétisme où abondent les contradictions insolubles, pour voir que ces contradictions n’ont point été cherchées ni voulues, que l’auteur souhaitait obtenir une théorie coordonnée de l’électro magnétisme. Lord Kelvin, eu construisant ses innombrables modèles, si disparates, ne cesse pas d’espérer qu’un jour viendra où il sera possible de donner une explication mécanique de la matière ; il se flatte que ses modèles servent à jalonner la voie qui mènera à la découverte de cette explication.

Tout physicien aspire naturellement à l’unité de la science ; c’est pourquoi l’emploi de modèles disparates et incompatibles n’a été proposé que depuis un petit nombre d’années. La raison, qui réclame une théorie