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l’objet de la théorie physique

ont l’amplitude se sont mépris au point de prendre ces échafaudages pour un monument achevé.

Ainsi, tous ceux qui sont capables de réfléchir, de prendre conscience de leurs propres pensées, sentent en eux-mêmes cette aspiration, impossible à étouffer, vers l’unité logique de la théorie physique. Cette aspiration vers une théorie dont toutes les parties s’accordent logiquement les unes avec les autres est, d’ailleurs, l’inséparable compagne de cette autre aspiration, dont nous avons déjà constaté l’irrésistible puissance[1], vers une théorie qui soit une classification naturelle des lois physiques. Nous sentons, en effet, que si les rapports réels des choses, insaisissables aux méthodes dont use le physicien, se reflètent en quelque sorte en nos théories physiques, ce reflet ne peut être privé d’ordre ni d’unité. Prouver par arguments convaincants que ce sentiment est conforme à la vérité serait une tache au-dessus des moyens de la Physique ; comment pourrions-nous assigner les caractères que doit présenter le reflet, puisque les objets dont émane ce reflet échappent à notre vue ? Et cependant, ce sentiment surgit en nous avec une force invincible ; celui qui n’y voudrait voir qu’un leurre et une illusion ne saurait être réduit au silence par le principe de contradiction ; mais il serait excommunié par le sens commun.

En cette circonstance, comme en toutes, la Science serait impuissante à établir la légitimité des principes mêmes qui tracent ses méthodes et dirigent ses recherches, si elle ne recourait au sens commun. Au fond de nos doctrines les plus clairement énoncées, les plus

  1. Voir ch. ii, § 4.