Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
théories abstraites et modèles mécaniques

dont toutes les parties soient logiquement unies, et l’imagination, qui désire incarner ces diverses parties de la théorie en des représentations concrètes, eussent vu l’une et l’autre leurs tendances aboutir s’il eût été possible d’atteindre une explication mécanique, complète et détaillée, des lois de la Physique ; de là, l’ardeur avec laquelle, pendant longtemps, les théoriciens se sont efforcés vers une semblable explication. Lorsque l’inanité de ces efforts eut clairement prouvé qu’une telle explication était une chimère[1], les physiciens, convaincus qu’il était impossible de satisfaire à la fois aux exigences de la raison et aux besoins de l’imagination, durent faire un choix ; les esprits forts et justes, soumis avant tout à l’empire de la raison, cessèrent de demander l’explication des lois naturelles à la théorie physique, afin d’en sauvegarder l’unité et la rigueur ; les esprits amples, mais faibles, entraînés par l’imagination, plus puissante que la raison, renoncèrent à construire un système logique, afin de pouvoir mettre les fragments de leur théorie sous une forme visible et tangible. Mais la renonciation de ces derniers, au moins de ceux dont la pensée mérite de compter, ne fut jamais complète et définitive ; ils ne donnèrent jamais leurs constructions isolées et disparates que pour des abris provisoires, pour des échafaudages destinés à disparaître ; ils ne désespérèrent pas de voir un architecte de génie élever un jour un édifice dont toutes les parties seraient agencées suivant un plan d’une parfaite unité. Seuls, ceux qui affectent de mépriser la force d’esprit pour faire croire qu’ils en

  1. Pour plus de détails sur ce point, nous renverrons à notre ouvrage : L’Évolution de la Mécanique, Paris, 1903.