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la structure de la théorie physique

l’on resserre suffisamment le faisceau de faits théoriques qui représente les données.

Si cette intuition atteignait la vérité, une déduction mathématique issue des hypothèses sur lesquelles repose une théorie physique ne pourrait jamais être inutile que d’une manière relative et provisoire ; quelque délicats que soient les procédés destinés à mesurer les résultats d’une expérience, on pourrait toujours, en rendant assez précis et assez minutieux les moyens par lesquels on traduit en nombres les conditions de cette expérience, faire en sorte que, de conditions pratiquement déterminées, notre déduction tire un résultat pratiquement unique. Une déduction, aujourd’hui inutile, deviendrait utile le jour où l’on accroîtrait notablement la sensibilité des instruments qui servent à apprécier les conditions de l’expérience.

Le mathématicien moderne se tient fort en garde contre ces apparentes évidences qui, si souvent, ne sont que piperies. Celle que nous venons d’invoquer n’est qu’un leurre. On peut citer des cas où elle est en contradiction manifeste avec la vérité. Telle déduction, à un fait théorique unique, pris comme donnée, fait correspondre, à titre de résultat, un fait théorique unique. Si la donnée est un faisceau de faits théoriques, le résultat est un autre faisceau de faits théoriques. Mais on a beau resserrer indéfiniment le premier faisceau, le rendre aussi délié que possible, on n’est pas maître de diminuer autant que l’on veut l’écartement du second faisceau ; bien que le premier faisceau soit infiniment étroit, les brins qui forment le second faisceau divergent et se séparent les uns des autres, sans que l’on puisse réduire leurs mutuels écarts au-dessous d’une