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la structure de la théorie physique

par un énoncé symbolique unique : À un même fait théorique peuvent correspondre une infinité de faits pratiques distincts.

Cette même disparité se traduit encore à nos yeux par cette autre conséquence : À un même fait pratique peuvent correspondre une infinité de faits théoriques logiquement incompatibles ; à un même ensemble de faits concrets, on peut faire correspondre, en général, non pas un seul jugement symbolique, mais une infinité de jugements différents les uns des autres et qui, logiquement, se contredisent l’un l’autre.

Un expérimentateur a fait certaines observations ; il les a traduites par cet énoncé : Une augmentation de pression de 100 atmosphères fait croître la force électromotrice de telle pile à gaz de 0volt,0845 ; il aurait pu dire tout aussi légitimement que cette augmentation de pression fait croître cette force électromotrice de 0volt,0844 ou encore qu’elle la fait croître de 0volt,0846. Comment ces diverses propositions peuvent-elles être équivalentes pour le physicien ? Car, pour le mathématicien, elles se contredisent l’une l’autre ; si un nombre est 845, il n’est et ne peut être ni 844, ni 846.

Voici ce que le physicien entend affirmer en déclarant que ces trois jugements sont identiques à ses yeux : Acceptant la valeur 0volt,0845 pour diminution de la force électromotrice, il calcule, au moyen de théories admises, la déviation qu’éprouvera l’aiguille de son galvanomètre lorsqu’il lancera dans l’instrument le courant fourni par cette pile ; c’est là, en effet, le phénomène que ses sens devront observer ; il trouve que cette déviation prendra une certaine valeur.