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l’expérience de physique

compte que je pourrais exprimer par le même énoncé deux faits aussi invariablement liés l’un à l’autre. »

M. H. Poincaré reconnaît donc que ces mots : « Tel fil est traversé par un courant de tant d’ampères » expriment non pas un fait unique, mais une infinité de faits possibles, et cela, en vertu de relations constantes entre diverses lois expérimentales. Mais ces relations ne sont-elles pas précisément ce que tout le monde appelle la théorie du courant électrique ? C’est parce que cette théorie est supposée construite que ces mots : « Il passe dans ce fil un courant de tant d’ampères » peuvent condenser tant de significations distinctes. Le rôle du savant ne s’est donc pas borné à créer un langage clair et concis pour exprimer les faits concrets ; ou, plutôt, la création de ce langage supposait la création de la théorie physique.

Entre un symbole abstrait et un fait concret, il peut y avoir correspondance, il ne peut y avoir entière parité ; le symbole abstrait ne peut être la représentation adéquate du fait concret, le fait concret ne peut être l’exacte réalisation du symbole abstrait ; la formule abstraite et symbolique par laquelle un physicien exprime les faits concrets qu’il a constatés au cours d’une expérience ne peut être l’exact équivalent, la relation fidèle de ces constatations.

Cette disparité entre le fait pratique, réellement observé, et le fait théorique, c’est-à-dire la formule symbolique et abstraite énoncée par le physicien, s’est manifestée à nous par cela que des faits concrets très différents peuvent se fondre les uns dans les autres lorsqu’ils sont interprétés par la théorie, ne plus constituer qu’une même expérience et s’exprimer