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la structure de la théorie physique

rience de Physique n’est pas seulement la constatation d’un ensemble de faits, mais encore la traduction de ces faits en un langage symbolique, au moyen de règles empruntées aux théories physiques. Il en résulte, en effet, que le physicien compare sans cesse l’un à l’autre deux instruments : l’instrument réel qu’il manipule, et l’instrument idéal et symbolique sur lequel il raisonne ; que, par exemple, le mot manomètre désigne pour Regnault deux choses essentiellement distinctes, mais indissolublement liées l’une à l’autre : d’une part, une suite de tubes de verre, solidement reliés les uns aux autres, adossés à la tour du Lycée Henri IV, remplis d’un métal liquide fort pesant que les chimistes nomment mercure ; d’autre part, une colonne de cet être de raison que les mécaniciens nomment un fluide parfait, doué en chaque point d’une certaine densité et d’une certaine température, défini par une certaine équation de compressibilité et de la dilatation. C’est sur le premier de ces deux manomètres que l’aide de Regnault pointe la lunette de son cathétomètre ; mais c’est au second que le grand physicien applique les lois de l’Hydrostatique.

L’instrument schématique n’est pas et ne peut pas être l’exact équivalent de l’instrument réel ; mais on conçoit qu’il en puisse donner une image plus ou moins parfaite ; on conçoit qu’après avoir raisonné sur un instrument schématique trop simple et trop éloigné de la réalité, le physicien cherche à lui substituer un schéma plus compliqué, mais plus ressemblant ; ce passage d’un certain instrument schématique à un autre qui symbolise mieux l’instrument concret, c’est essentiellement l’opération que désigne, en Physique, le mot correction.