Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
la structure de la théorie physique

exception, le témoignage vulgaire offre d’autant plus de garanties qu’il précise moins, qu’il analyse moins, qu’il s’en tient aux considérations les plus grossières et les plus obvies.

Tout autre est la relation d’une expérience de Physique ; elle ne se contente pas de nous faire connaître un phénomène en gros ; elle prétend l’analyser, nous renseigner sur le moindre détail et la plus minutieuse particularité, en marquant exactement le rang et l’importance relative de chaque détail, de chaque particularité ; elle prétend nous donner ces renseignements sous une forme telle que nous puissions, quand bon nous semblera, reproduire très exactement le phénomène qu’elle relate ou, du moins, un phénomène théoriquement équivalent. Cette prétention excéderait la puissance de l’expérimentation scientifique, comme elle excède les forces de l’observation vulgaire, si l’une n’était pas mieux armée que l’autre ; le nombre et la minutie des détails qui composent ou qui accompagnent chaque phénomène dérouteraient l’imagination, excéderaient la mémoire et défieraient la description, si le physicien n’avait à son service un merveilleux moyen de classification et d’expression, une représentation symbolique admirablement claire et concise, qui est la théorie mathématique ; s’il n’avait, pour marquer l’importance relative de chaque particularité, l’exact et bref procédé d’appréciation que lui fournit l’évaluation numérique, la mesure. Si quelqu’un, par gageure, entreprenait de décrire une expérience de la Physique actuelle en excluant tout langage théorique ; s’il essayait, par exemple, d’exposer les expériences de Regnault sur