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la loi physique

et rejetée par un autre physicien qui admet telle autre théorie.

Prenez un paysan qui n’a jamais analysé la notion d’homme ni la notion de mort, et un métaphysicien qui a passé sa vie à les analyser ; prenez deux philosophes qui les ont analysées et qui en ont adopté des définitions différentes, inconciliables ; pour tous, la loi : tout homme est mortel, sera aussi claire et aussi vraie. De même, la loi : avant d’entendre le tonnerre, on voit briller l’éclair, a, pour le physicien qui connaît à fond les lois de la décharge disruptive, la même clarté et la même certitude que pour l’homme de la plèbe romaine qui voyait dans le coup de foudre un effet de la colère de Jupiter Capitolin.

Considérons, au contraire, cette loi de Physique : Tous les gaz se compriment et se dilatent de la même manière, et demandons à divers physiciens si cette loi est ou non transgressée par la vapeur d’iode. Un premier physicien professe des théories selon lesquelles la vapeur d’iode est un gaz unique ; il tire alors de la loi précédente cette conséquence : la densité de la vapeur d’iode par rapport à l’air est une constante ; or, l’expérience montre que la densité de la vapeur d’iode par rapport à l’air dépend de la température et de la pression ; notre physicien conclut donc que la vapeur d’iode ne se soumet pas à la loi énoncée. Selon un second physicien, la vapeur d’iode est non pas un gaz unique, mais un mélange de deux gaz, polymères l’un de l’autre et susceptibles de se transformer l’un en l’autre ; dès lors, la loi précitée n’exige plus que la densité de la vapeur d’iode par rapport à l’air soit constante ; elle réclame que cette densité varie