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la structure de la théorie physique

encore introduit ses représentations symboliques. En de telles sciences, la comparaison entre les déductions d’une théorie et les faits d’expérience est soumise à des règles très simples ; ces règles ont été formulées d’une manière particulièrement forte par Claude Bernard, qui les condensait en ce principe unique[1] : « L’expérimentateur doit douter, fuir les idées fixes et garder toujours sa liberté d’esprit. »

« La première condition que doit remplir un savant qui se livre à l’investigation dans les phénomènes naturels, c’est de conserver une entière liberté d’esprit assise sur le doute philosophique. »

Que la théorie suggère des expériences à réaliser, rien de mieux ; « nous pouvons[2] suivre notre sentiment et notre idée, donner carrière à notre imagination, pourvu que toutes nos idées ne soient que des prétextes à instituer des expériences nouvelles qui puissent nous fournir des faits probants ou inattendus et féconds ». Une fois l’expérience faite et les résultats nettement constatés, que la théorie s’en empare pour les généraliser, les coordonner, en tirer de nouveaux sujets d’expérience, rien de mieux encore ; « si l’on est bien imbu [3] des principes de la méthode expérimentale, on n’a rien à craindre ; car tant que l’idée est juste, on continue à la développer ; quand elle est erronée, l’expérience est là pour la rectifier ». Mais tant que dure l’expérience, la théorie doit demeurer à la porte, sévèrement consignée, du laboratoire ; elle doit

  1. Claude Bernard : Introduction à la Médecine expérimentale. Paris, 1865 ; p. 63.
  2. Claude Bernard, loc. cit., p. 64.
  3. Claude Bernard, loc. cit., p. 70.