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la théorie physique et l’expérience

garder le silence et laisser, sans le troubler, le savant face à face avec les faits ; ceux-ci doivent être observés sans idée préconçue, recueillis avec la même impartialité minutieuse, soit qu’ils confirment les prévisions de la théorie, soit qu’ils les contredisent ; la relation que l’observateur nous donnera de son expérience doit être un décalque fidèle et scrupuleusement exact des phénomènes ; elle ne doit pas même nous laisser deviner quel est le système en lequel le savant a confiance, quel est celui dont il se méfie.

« Les hommes[1] qui ont une foi excessive dans leurs théories ou dans leurs idées sont non seulement mal disposés pour faire des découvertes, mais ils font encore de très mauvaises observations. Ils observent nécessairement avec une idée préconçue et, quand ils ont institué une expérience, ils ne veulent voir dans ses résultats qu’une confirmation de leur théorie. Ils défigurent ainsi l’observation et négligent souvent des faits très importants, parce qu’ils ne concourent pas à leur but. C’est ce qui nous a fait dire ailleurs qu’il ne fallait jamais faire des expériences pour confirmer ses idées, mais simplement pour les contrôler… Mais il arrive encore tout naturellement que ceux qui croient trop à leurs théories ne croient pas assez à celles des autres. Alors l’idée dominante de ces contempteurs d’autrui est de trouver les théories des autres en défaut et de chercher à les contredire. L’inconvénient pour la science reste le même. Ils ne font des expériences que pour détruire une théorie, au lieu de les faire pour chercher la vérité. Ils font également de mau-

  1. Claude Bernard, loc. cit., p. 67.