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la théorie physique et l’expérience

lumière consiste en projectiles lancés avec une grande vitesse par les corps lumineux ? Est-ce en quelque autre supposition touchant les actions que les corpuscules lumineux subissent de la part des milieux au sein desquels ils se meuvent ? Nous n’en savons rien. Il serait téméraire de croire, comme Arago semble l’avoir pensé, que l’expérience de Foucault condamne sans retour l’hypothèse même de l’émission, l’assimilation d’un rayon de lumière à une rafale de projectiles ; si les physiciens eussent attaché quelque prix à ce labeur, ils fussent sans doute parvenus à fonder sur cette supposition un système optique qui s’accordât avec l’expérience de Foucault.

En résumé, le physicien ne peut jamais soumettre au contrôle de l’expérience une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble d’hypothèses ; lorsque l’expérience est en désaccord avec ses prévisions, elle lui apprend que l’une au moins des hypothèses qui constituent cet ensemble est inacceptable et doit être modifiée ; mais elle ne lui désigne pas celle qui doit être changée.

Nous voici bien loin de la méthode expérimentale telle que la conçoivent volontiers les personnes étrangères à son fonctionnement. On pense communément que chacune des hypothèses dont la Physique fait usage peut être prise isolément, soumise au contrôle de l’expérience ; puis, lorsque des épreuves variées et multipliées en ont constaté la valeur, mise en place d’une manière définitive dans le système de la Physique. En réalité, il n’en est pas ainsi ; la Physique n’est pas une machine qui se laisse démonter ; on ne peut pas essayer chaque pièce isolément et attendre, pour