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la théorie physique et l’expérience

les lois de Kepler et leur extension aux mouvements des satellites ? L’induction peut-elle le tirer de ces deux énoncés ? Nullement. En effet, il n’est pas seulement plus général que ces deux énoncés ; il ne leur est pas seulement hétérogène ; il est en contradiction avec eux. S’il admet le principe de l’attraction universelle, le mécanicien peut calculer la grandeur et la direction des forces qui sollicitent les diverses planètes et le Soleil lorsqu’on prend ce dernier pour terme de comparaison, et il trouve que ces forces ne sont point telles que l’exigerait notre premier énoncé. Il peut déterminer la grandeur et la direction de chacune des forces qui sollicitent Jupiter et ses satellites lorsque l’on rapporte tous les mouvements à la planète, supposée immobile, et il constate que ces forces ne sont point telles que l’exigerait notre second énoncé.

Bien loin donc que le principe de la gravité universelle puisse se tirer, par la généralisation et l’induction, des lois d’observation que Kepler a formulées, il contredit formellement à ces lois. Si la théorie de Newton est exacte, les lois de Kepler sont nécessairement fausses.

Ce ne sont donc pas les lois tirées par Kepler de l’observation des mouvements célestes qui transfèrent leur certitude expérimentale immédiate au principe de la pesanteur universelle, puisqu’au contraire, si l’on admettait l’exactitude absolue des lois de Kepler, on serait contraint de rejeter la proposition sur laquelle Newton fonde la Mécanique céleste. Bien loin de se réclamer des lois de Kepler, le physicien qui prétend justifier la théorie de la gravitation universelle trouve, tout d’abord, dans ces lois, une objection à résoudre ;