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la théorie physique et l’expérience

mise isolément au contrôle de l’expérience ; naturellement, de ce principe erroné on déduit des conséquences fausses touchant la méthode suivant laquelle la Physique doit être enseignée. On voudrait que le professeur rangeât toutes les hypothèses de la Physique dans un certain ordre ; qu’il prît la première, qu’il en donnât l’énoncé, qu’il en exposât les vérifications expérimentales, puis, lorsque ces vérifications auront été reconnues suffisantes, qu’il déclarât l’hypothèse acceptée ; mieux encore, on voudrait qu’il formulât cette première hypothèse en généralisant par induction une loi purement expérimentale ; il recommencerait cette opération sur la seconde hypothèse, sur la troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que la Physique fût entièrement constituée ; la Physique s’enseignerait comme s’enseigne la Géométrie ; les hypothèses se suivraient comme se suivent les théorèmes ; la preuve expérimentale de chaque supposition remplacerait la démonstration de chaque proposition ; on n’avancerait rien qui ne soit tiré des faits ou qui ne soit aussitôt justifié par les faits.

Tel est l’idéal que se proposent beaucoup de professeurs, que plusieurs, peut-être, pensent avoir atteint. Pour les convier à la poursuite de cet idéal, les voix autorisées ne manquent pas. « Il importe, dit M. H. Poincaré[1], de ne pas multiplier les hypothèses outre mesure et de ne les faire que l’une après l’autre. Si nous construisons une théorie fondée sur des hypothèses multiples et si l’expérience la condamne, quelle est, parmi nos prémisses, celle qu’il est nécessaire de

  1. H. Poincaré : Science et Hypothèse, p. 179.