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la structure de la théorie physique

ne peuvent être démentis par l’expérience, parce qu’ils sont les règles, universellement acceptées, qui nous servent à découvrir, dans nos théories, les tares signalées par ces démentis ; mais encore ils ne peuvent être démentis par l’expérience parce que l’opération qui prétendrait les comparer aux faits n’aurait aucun sens.

Expliquons cela par un exemple.

Le principe de l’inertie nous enseigne qu’un point matériel soustrait à l’action de tout autre corps se meut en ligne droite d’un mouvement uniforme. Or, on ne peut observer que des mouvements relatifs ; on ne peut donc donner un sens expérimental à ce principe que si l’on suppose choisi un certain terme, un certain solide géométrique pris comme repère fixe, auquel le mouvement du point matériel soit rapporté. La fixation de ce repère fait partie intégrante de l’énoncé de la loi ; si l’on omettait cette fixation, cet énoncé serait dénué de signification. Autant de repères distincts, autant de lois différentes. On énoncera une loi de l’inertie, si l’on dit que le mouvement d’un point isolé, supposé vu de la terre, est rectiligne et uniforme, une autre si l’on répète la même phrase en rapportant le mouvement au Soleil, une autre encore si le repère choisi est l’ensemble des étoiles fixes. Mais alors, une chose est bien certaine : c’est que, quel que soit le mouvement d’un point matériel vu d’un premier repère, l’on peut toujours, et d’une infinité de manières, choisir un second repère de telle sorte que, vu de là, notre point matériel paraisse se mouvoir en ligne droite d’un mouvement uniforme. On ne saurait donc tenter une vérification expérimentale du principe de l’inertie ; faux si l’on rapporte les mouvements à un certain repère, il