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la théorie physique et l’expérience

s’ajuste mal aux réalités qu’elle doit figurer ; que les corrections qui viennent compliquer notre schéma ne suffisent pas à assurer une concordance suffisante entre ce schéma et les faits ; que la théorie, longtemps admise sans conteste, doit être rejetée ; qu’une théorie toute différente doit être construite sur des hypothèses entièrement nouvelles. Ce jour-là, quelqu’une de nos hypothèses qui, prise isolément, défiait le démenti direct de l’expérience, s’écroulera, avec le système qu’elle portait, sous le poids des contradictions que la réalité aura infligées aux conséquences de ce système pris dans son ensemble[1].

En réalité, les hypothèses qui n’ont par elles-mêmes aucun sens physique subissent le contrôle de l’expérience exactement de la même manière que les autres hypothèses. Quelle que soit la nature d’une hypothèse, jamais, nous l’avons vu au début de ce Chapitre, elle ne peut être isolément contredite par l’expérience ; la contradiction expérimentale porte toujours, en bloc, sur tout un ensemble théorique, sans que rien puisse désigner quelle est, dans cet ensemble, la proposition qui doit être rejetée.

Ainsi s’évanouit ce qui aurait pu sembler paradoxal en cette affirmation : Certaines théories physiques reposent sur des hypothèses qui n’ont aucun sens physique.

  1. Au Congrès international de Philosophie, tenu à Paris en 1900, M. Poincaré avait développé cette conclusion : « Ainsi s’explique que l’expérience ait pu édifier (ou suggérer) les principes de la Mécanique, mais qu’elle ne pourra jamais les renverser. » À cette conclusion, M. Hadamard avait opposé diverses observations, entre autres celle-ci : « D’ailleurs, conformément à une remarque de M. Duhem, ce n’est pas une hypothèse isolée, mais l’ensemble des hypothèses de la Mécanique que l’on peut essayer de vérifier expérimentalement. » (Revue de Métaphysique et de Morale, 8e année, 1900, p. 559.)