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la structure de la théorie physique


§ X. — Le bon sens est juge des hypothèses qui doivent être abandonnées.

Lorsque l’expérience frappe de contradiction certaines conséquences d’une théorie, elle nous enseigne que cette théorie doit être modifiée, mais elle ne nous dit pas ce qu’il y faut changer. Elle laisse à la sagacité du physicien le soin de rechercher la tare qui rend boiteux tout le système. Aucun principe absolu ne guide cette recherche que des physiciens différents peuvent mener de manières fort diverses, sans avoir le droit de s’accuser réciproquement d’illogisme. L’un, par exemple, peut s’obliger à sauvegarder certaines hypothèses fondamentales, tandis qu’il s’efforce, en compliquant le schéma auquel ces hypothèses s’appliquent, en invoquant des causes d’erreur variées, en multipliant les corrections, de rétablir l’accord entre les conséquences de la théorie et les faits. L’autre, dédaignant ces chicanes compliquées, peut se résoudre à changer quelqu’une des suppositions essentielles qui portent le système entier. Le premier n’a point le droit de condamner d’avance l’audace du second, ni le second de traiter d’absurde la timidité du premier. Les méthodes qu’ils suivent ne sont justiciables que de l’expérience et, s’ils parviennent tous deux à satisfaire aux exigences de l’expérience, il est logiquement permis à l’un comme à l’autre de se déclarer content de l’œuvre qu’il a accomplie.

Cela ne veut point dire que l’on ne puisse très justement préférer l’œuvre de l’un à l’œuvre de l’autre ;