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le choix des hypothèses

même doctrine ; mais, quelque fréquent que soit ce phénomène, il ne peut jamais le contempler sans étonnement[1]. Déjà, nous avons eu occasion de voir le système de la gravité universelle germer dans les esprits de Hooke, de Wren, de Halley, en même temps qu’il s’organisait dans le cerveau de Newton. De même, au milieu du xixe siècle, nous verrions le principe de l’équivalence entre la chaleur et le travail formulé, à des époques très rapprochées les unes des autres, par Robert Mayer en Allemagne, par Joule en Angleterre, par Colding en Danemark ; chacun d’eux ignorait cependant les méditations de ses émules, et aucun d’eux ne soupçonnait que la même idée avait atteint, quelques années auparavant, une maturité précoce en France, au sein du génie de Sadi Garnot.

Nous pourrions multiplier les exemples de cette surprenante simultanéité d’invention ; bornons-nous à en mentionner encore un, qui nous semble particulièrement saisissant.

Le phénomène de la réflexion totale que la lumière peut éprouver à la surface de séparation de deux milieux ne se laisse point aisément comprendre dans l’édifice théorique qui constitue le système des ondulations. Fresnel avait donné, en 1823, des formules propres à représenter ce phénomène ; mais il les avait obtenues par l’une des divinations[2] les plus étranges et les plus illogiques que mentionne l’histoire de la Physique. Les ingénieuses vérifications expérimentales qu’il en avait données ne laissaient guère de doute sur

  1. Cf. F. Menthé : La simultanéité des découvertes scientifiques (Revue scientifique, 5e série, t. II, p. 555 ; 1904.)
  2. Augustin Fresnel : Œuvres complètes, t. I, p 182.