Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
le choix des hypothèses

notamment à Varignon, les théorèmes de Statique dont il fait usage.

Cette définition n’est donc pas une définition de nom, mais une définition de nature ; prenant le mot puissance au sens où chacun l’entend, Euler se propose de marquer le caractère essentiel de la puissance, caractère dont se tireront toutes les autres propriétés de la force. La phrase que nous avons citée est bien moins une définition qu’une proposition dont Euler postule l’évidence, qu’un axiome. Cet axiome, d’autres axiomes analogues lui permettront seuls de prouver que les lois de la Mécanique sont non seulement vraies, mais nécessaires.

Or, est-il évident, est-il clair par les seules lumières du sens commun, qu’un corps soustrait à l’action de toute force se meuve éternellement en ligne droite, avec une vitesse constante ? Qu’un corps soumis à une pesanteur constante accélère sans cesse la vitesse de sa chute ? De telles opinions sont, au contraire, prodigieusement loin de la connaissance vulgaire ; pour les enfanter, il a fallu les efforts accumulés de tous les génies qui, pendant deux mille ans, ont traité de la Dynamique[1].

Ce que nous enseigne l’expérience de chaque jour, c’est qu’une voiture qui n’est pas attelée demeure immobile ; c’est qu’un cheval qui développe un effort constant entraîne le véhicule avec une vitesse constante ; c’est que, pour faire courir le char plus rapide-

  1. Cf. E. Wohlwill : Die Entdeckung der Beharrungsgesetzes (Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenscliaft, Bd. XIV et Bd. XV, 1883-1884). — P. Duhem : De l’accélération produite par une force constante (Congrès d’Histoire des sciences ; Genève, 1904).