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THÉORIE PHYSIQUE ET CLASSIFICATION NATURELLE

Un tel corollaire, si contraire, semble-t-il, aux certitudes expérimentales les plus obvies, paraissait bien propre à faire rejeter la théorie de la diffraction proposée par Fresnel. Arago eut confiance dans le caractère naturel, partant dans la clairvoyance de cette théorie ; il tenta l’épreuve ; l’observation donna des résultats qui concordaient absolument avec les prédictions, si peu vraisemblables, du calcul[1].

Ainsi la théorie physique, telle que nous l’avons définie, donne d’un vaste ensemble de lois expérimentales une représentation condensée, favorable à l’économie intellectuelle.

Elle classe ces lois ; en les classant, elle les rend plus aisément et plus sûrement utilisables ; en même temps, en mettant de l’ordre dans leur ensemble, elle y met de la beauté.

Elle prend, en se perfectionnant, les caractères d’une classification naturelle ; les groupements qu’elle établit laissent alors soupçonner les affinités réelles des choses.

Ce caractère de classification naturelle se marque surtout par la fécondité de la théorie, qui devine des lois expérimentales non encore observées et en provoque la découverte.

C’en est assez pour que la recherche des théories physiques ne puisse être réputée besogne vaine et oiseuse, bien qu’elle ne poursuive pas l’explication des phénomènes.


  1. Œuvres complètes d’Augustin Fresnel, t. I, pp. 236, 365, 368.