Page:Duhem - La Théorie physique, 1906.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
LES THÉORIES REPRÉSENTATIVES ET L’HISTOIRE

lui-même ait craint que l’on prît trop au sérieux sa prudente circonspection, car il fait suivre l’article que nous venons de citer de deux autres, ainsi intitulés : « Que néanmoins on a une certitude morale que toutes les choses de ce monde sont telles qu’il a été ici démontré qu’elles peuvent être. » — « Et même qu’on en a une certitude plus que morale. »

Les mots : certitude morale ne suffisaient pas, en effet, à exprimer la foi sans limite que Descartes professait en sa méthode ; non seulement il croyait avoir donné une explication satisfaisante de tous les phénomènes naturels, mais il pensait en avoir fourni la seule explication possible et pouvoir le démontrer mathématiquement : « Pour la Physique, écrivait-il[1] à Mersenne, le 11 mars 1640, je croirais n’y rien savoir, si je ne sçavais que dire comment les choses peuvent estre, sans démonstrer qu’elles ne peuvent estre autrement ; car l’ayant réduite aux lois des Mathématiques, c’est chose possible, et je croy le pouvoir en tout ce peu que je croy sçavoir, bien que je ne l’aye pas fait en mes Essais, à cause que je n’ai pas voulu y donner mes principes, et je ne voy encore rien qui me convie à les donner à l’avenir. »

Cette superbe confiance dans la puissance illimitée de la méthode métaphysique était bien propre à faire naître un dédaigneux sourire aux lèvres de Pascal ; lors même qu’on admettrait que la matière n’est que l’étendue en longueur, largeur et profondeur, quelle folie d’en vouloir tirer l’explication détaillée du monde !

  1. Descartes : Œuvres, édition P. Tannery et Ch. Adam, Correspondance, t. iii, p. 39.