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PHYSICIENS ET ASTRONOMES. — II. LES SÉMITES

que ses objections, valables contre les mécanismes de Thâbit ben Kourrah), ne le sont plus contre ceux d’Ibn al Haitam ; aucun d’eux ne renoncera à opposer aux hypothèses de l’Almageste de des conséquences, réputées absurdes par les Péripatéticiens, mais qui s’évanouissent d’elles-mêmes si l’on donne à ces hypothèses la forme particulière que Ptolémée a imaginée et qu’Ibn al Haitam a reproduite.

Pour expliquer ce silence étrange, on voudrait supposer que le Résumé d’Astronomie était demeuré profondément ignoré des philosophes péripatéficiens, adversaires du système de Ptolémée ; cette hypothèse n’est point permise. Le plus ardent au combat contre les doctrines de l’Almageste, Averroès, a connu et cité le livre d’Ibn al Haitam, « Averroès[1], au commencement de son Abrégé de l’Almageste, qui ne nous est conservé que dans la traduction hébraïque inédite de Jacob Anfoli (faite à Naples vers 1231-1235), parle de ceux qui ont composé des Abrégés, sans démonstration, dans le seul but de satisfaire l’imagination ; tel Ibn al Haitam. Dans le traité ou discours sur le mouvement de la Lune, du même Abrégé, Averroès observe, à l’occasion du cinquième mouvement de la Lune, mentionné par Ptolémée et nommé déclination (nettija), qu’Ibn al Haitam en a douté, comme il a douté d’autres mouvements semblables des planètes.

Que le Résumé d’Astronomie fût également connu dans l’entourage de Maïmonide, une curieuse anecdote nous l’apprend[2].

« En 1192, le médecin Al Rokn Abd el Salam fut accusé d’athéisme, et l’on procéda avec grand appareil à la destruction de ses livres. Le docteur qui présidait à la cérémonie monta dans la chaire, fit un sermon contre la Philosophie, puis, prenant l’un après l’autre les volumes, il disait quelques mots pour en montrer la scélératesse, et les passait à des gens qui les jetaient au feu. Rabbi Juda, le disciple chéri de Maïmonide, fut témoin de cette scène étrange. « Je vis, dit-il, dans la main du docteur, l’ouvrage d’astronomie d’Ibn al Haitam. Montrant le cercle par lequel cet auteur a représenté le globe céleste : « Voici, s’écria-t-il, l’immense malheur, l’inexprimable désastre, la sombre calamité ! » En disant ces mots, il déchira le livre et le jeta au feu ».

Il est permis, dès lors, de se demander si le silence gardé par Ibn BÂdja, par Ibn Tofaïl et par leurs disciples au sujet du

  1. M. Steinschneider, loc. cit., p. 728.
  2. E. Renan, Averroès et l’Averroïsme, p. 23.