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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

servation des Chaldéens s’est bornée au pouvoir des cinq étoiles errantes. Mais croyez-vous que ces milliers d’étoiles fixes luisent pour ne rien faire ? Si les faiseurs d’horoscope tombent souvent en erreur, quelle en est la cause ? C’est qu’ils prennent seulement quelques astres pour signes de notre destinée, tandis que tous les corps qui se trouvent au-dessus de nous revendiquent quelque part en notre sort. »

Sénèque, assurément, était fort bien disposé à recevoir ce que Posidonius avait dit de la théorie des marées. De cette théorie, malheureusement, il n’a pas eu occasion de traiter. C’est accidentellement qu’il en parle, mais dans une circonstance qui offre pour nous un grand intérêt.

Il s’agit du déluge universel qui, à la fin du Grand Hiver, doit submerger le Monde.

Au flot qui s’avancera alors pour inonder la terre, Sénèque donne le nom de flux (æstus)[1], Ce flux n’est pas la cause qui soulève les eaux de la mer ; il n’est que l’instrument du Destin. « La mer est mue par la Destinée, non par le flux, car le flux est au service du Destin (nam æstus fati ministerium est.) »

Pour faire comprendre la formation de ce flux dévastateur, Sénèque use de la comparaison que voici : « Ainsi voit-on habituellement le flux d’équinoxe, entraîné par la conjonction du Soleil et de la Lune, s’avancer plus puissant que tous les autres flux ; de même ce flux, envoyé par le Destin pour submerger la terre, plus violent non seulement que les flux habituels, mais même que les plus forts, entraînera une plus grande quantité d’eau… En certains lieux, le flux [équinoxial] court sur des centaines de milles, inoffensif et gardant l’ordre qui lui a été prescrit ; sa crue, en effet, s’arrête a une certaine mesure et, ensuite, il décroît. Mais à ce moment-là, le flux, délivré de toute loi, s’avancera sans mesure ».

Ainsi les Stoïciens, dans le flux produit par la conjonction du Soleil et de la Lune avec un point équinoxial, voyaient une image réduite du cataclysme que devait, un jour, déchaîner la conjonction de tous les astres errants avec le solstice d’hiver. La théorie des marées ne leur servait pas seulement à justilier les prédictions de l’Astrologie ; elle confirmait à leurs yeux le grandiose et redoutable pronostic des catastrophes destinées, périodiquement, à détruire l’Univers,

  1. Sénèque, Questions naturelles, livre III, ch. VIII.