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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

ne regardaient pas les dieux et, d’autre part, les Stoïciens qui pensaient le contraire et prétendaient démontrer que ces mêmes choses sont dirigées et soutenues par l’aide et la tutelle des dieux ?…

» On voyait chacun des philosophes lutter au grand jour, au milieu d’une foule d’auditeurs, en faveur de sa propre opinion, qui sous un portique monumental et fameux, qui dans des gymnases, dans des jardins, en des lieux publics ou privés. Les uns assuraient que le monde est unique, les autres que les mondes sont innombrables ; ce monde unique, les uns voulaient qu’il eût pris naissance, les autres qu’il n’eût point de commencement : les uns prétendaient qu’il devait finir, les autres qu’il durerait toujours ; les uns croient qu’il est mû par une intelligence divine, les autres par le sort et les hasards ; pour ceux-ci, nos âmes sont immortelles, pour ceux-là, elles sont mortelles ; parmi ceux qui les croient immortelles, les uns pensent qu’elles retournent au sein des animaux et les autres ne le pensent pas ; parmi ceux qui les croient mortelles, les uns veulent qu’elles meurent aussitôt après la mort du corps, les autres veulent qu’elles lui survivent plus ou moins longtemps mais qu’elles ne demeurent pas toujours : certains mettent le souverain bien dans le corps, d’autres dans l’âme, d’autres à la fois dans le corps et dans l’âme, d’autres encore adjoignent au corps et à l’âme des biens extérieurs ; certains croient qu’il faut toujours accorder confiance aux sens corporels, d’autres qu’il ne faut pas toujours la leur accorder, d’autres, enfin, qu’il ne s’y faut jamais fier. Ces opinions divergentes entre les philosophes, et d’autres, qui sont innombrables, y eut-il jamais, dans la Cité impie, un peuple, un sénat, une puissance ou une magistrature publique qui ait eu charge de décider entre elles, d’approuver et de recevoir les unes, de condamner et de rejeter les autres ? Cette Cité n’a-t-elle point gardé dans son sein, sans porter sur elles aucun jugement, dans le désordre et la confusion, toutes les controverses de ces hommes qui ne disputaient ni de champs ni de maisons ni de rien qui s’évaluât en argent, mais qui disputaient de ce qui fait la vie heureuse ou malheureuse ? Alors même qu’en ces controverses quelque vérité était formulée, l’erreur s’y affirmait avec la même liberté. Certes, ce n’est pas sans raison que cette Cité a reçu le nom symbolique de Babylone ; car Babylone, nous l’avons dit, signifie confusion. Au Diable, roi de cette Cité, il importe peu que tous ces gens bataillent entre eux à coups d’erreurs opposées les unes aux autres ; leur impiété a beau prendre des formes multiples et variées ; elle les met tous également en sa possession. »