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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

S’étonnera-t-on que les docteurs chrétiens aient lui la confusion intellectuelle de cette Babel diabolique pour se réfugier dans la Cité de Dieu, où une autorité suprême maintenait, entre les esprits, un accord parfait ?

La Physique, où chacune des propositions soutenues par une École était aussitôt réfutée par l’École adverse, ne montrait aux Pères de l’Église aucune marque reconnaissable de vérité. Peut-être en Paccord des divers astronomes au sujet de certaines lois, en la concordance de ces lois avec les observations, eussent-ils trouvé la preuve que la Science des astres méritait plus de confiance que la Philosophie ; Saint Augustin, en particulier, a reconnu cette certitude plus grande de la Science astronomique.

« J’avais lu, dit-il[1], plusieurs livres des philosophes et avais fort bien retenu leurs maximes ; j’en conférais quelques-unes avec ces fables des Manichéens, et je trouvais beaucoup moins de vraisemblance à ces fables et plus de probabilité dans ces opinions des philosophes, dont l’esprit a bien pu connaître les secrets de la hature, mais non en trouver le Seigneur et le Créateur… Vous ne vous laissez point trouver par les superbes, quoique leur curieuse et vainc science les rende capables de compter les étoiles et les grains de sable de la mer, de mesurer les vastes régions du ciel et de découvrir les routes des astres.

» Car ils cherchent ces choses par la lumière naturelle de l’esprit que vous leur avez donné, et trouvent beaucoup de secrets ; ils prédisent plusieurs années auparavant les éclipses du Soleil et de la Lune ; ils en marquent le jour, l’heure et la grandeur ; et les effets suivent leurs prédictions ; ils en ont même écrit des règles qui se lisent encore aujourd’hui, par lesquelles on prévoit en quelle année, en quel mois de l’année, en quel jour du mois, à quelle heure du jour, et en quelle partie de leur lumière le Soleil et la Lune doivent s’éclipser ; et ce qu’on a prévu arrive toujours, et ita fiet ut prænuntiatur. »

Saint Augustin comprend quelle forte marque de vérité est cette exacte concordance des phénomènes célestes avec les prévisions des astronomes, il croit si bien à la certitude de la Science profane lorsqu’elle a été ainsi confirmée, qu’il la prend, à son tour, comme moyen de confondre des doctrines philosophiques ou théologiques erronées, celles des Manichéens par exemple :

« J’avais, dit-il[2], retenu beaucoup de choses véritables que ces philosophes ont dites des créatures ; et comme j’en comprenais la

  1. Saint Augustin, Confessions, liv. V, ch. III (trad. d’Arnaud d’Andilly).
  2. Saint Augustin, loc. cit., trad. laud.