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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

raison par la supputation et l’ordre des temps, et par les visibles révolutions[1] des astres, je les conférais avec les discours de Manichée qui, ayant beaucoup écrit à ce sujet, s’est montré fort fécond en rêveries, et je ne trouvais pas dans ces fables les raisons des solstices, des équinoxes et des éclipses, ni de tout le reste de ce que j’avais appris de la nature et du cours des astres dans les livres de ces philosophes païens. On me voulait néanmoins obliger d’y ajouter foi, bien qu’il n’y eût aucun rapport avec cette connaissance que j’en avais acquise, tant par les règles de mathématique que par mes yeux propres, mais qu’au contraire il y eut une différence merveilleuse. »

« Mais[2] qui obligeait Manichée de nous faire dans ses livres de si longs discours des astres, dont la connaissance n’est point nécessaire pour être instruit dans la piété ? Car puisque vous avez daigné apprendre aux hommes dans nos Écritures que « la piété » est la vraie sagesse », quand il aurait eu une connaissance parfaite des astres, ce n’aurait pas été une preuve qu’il possédât cette vraie sagesse ; mais c’est une preuve irréfutable qu’il ne la possédait pas que, ne connaissant rien dans cette science de la nature, il ait la hardiesse d’enseigner ce qu’il ignorait. — Dixisti enim homini : « Ecce pietas et sapientia » ; quam ille ignorare posset, etiam si ista perfecte nosset ; ista vero quia non noveras, impudentissime audens docere, prorsus illam nosse non posset

» Ainsi lorsque l’on découvre ses faussetés en ce qu’il dit du ciel, des étoiles et du mouvement du Soleil et de la Lune, quoique cela ne regarde point la religion, on ne laisse pas néanmoins de connaître manifestement que la hardiesse avec laquelle il a écrit était sacrilège ; puisque, outre qu’il ignore ce dont il parle et tombe dans des erreurs et des faussetés grossières, il en parle avec une si haute présomption et un orgueil si insupportable, qu’il veut qu’on ajoute créance à tout ce qu’il dit comme à des discours qui procèdent d’une personne divine. »

Mais si la concordance précise entre les prévisions de ses calculs et les résultats de l’observation était de nature à recommander l’Astronomie auprès des Pères de l’Église, cette science, à leurs yeux, était irrémédiablement compromise par son alliance avec l’Astrologie.

Aux siècles où écrivent les Saint Basile et les Saint Grégoire de Nysse, les Saint Ambroise et les Saint Augustin, l’Astrologie n’est plus seulement l’alliée de l’Astronomie ; elle la domine.

  1. Saint Augustin dit : Les témoignages visibles, visibiles attestationes.
  2. Saint Augustin, Op. laud., livre V, ch, V.