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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE


aux Minucius Félix, aux Origène, autant d’emprunts faits à la Genèse par les philosophes païens.

Les ressemblances, fortuites peut-être, mais évidentes, que le Timée présente avec le premier chapitre de la Genèse venaient renforcer cette opinion des Chrétiens ; tandis que la plupart des philosophes antiques professaient l’éternité d’un Monde incréé, les docteurs de l’Église tenaient qu’au gré de Platon, le Monde « a été créé et a eu un commencement, natum et factum[1] », et ils admiraient la concordance de cet enseignement avec celui de la Bible. Beaucoup d’entre eux ne doutaient pas que Platon n’eût été instruit de la doctrine des Juifs ; Saint Augustin s’explique clairement au sujet de cette supposition.

« Parmi ceux, dit-il[2], qui sont nos compagnons dans la grâce de Jésus-Christ, il en est qui s’étonnent lorsqu’ils lisent ou entendent dire que Platon a conçu, au sujet de Dieu, des sentiments dont ils reconnaissent la conformité avec les vérités de notre religion. Aussi quelques-uns d’entre eux ont-ils pensé que Platon, au cours de ses voyages en Égypte, avait entendu le prophète Jérémie ou bien qu’en cette même pérégrination, il avait lu les Ecritures prophétiques. Moi-même, dans certains de mes ouvrages, j’ai admis leur opinion. Mais une évaluation exacte des temps, tirée de la chronologie historique, nous indique que Platon naquit cent ans environ après l’époque où Jérémie prophétisa : sa vie a duré quatre-vingt-un ans ; puis il s’est écoulé à peu près soixante ans entre l’année de sa mort et celle où Ptolémée, roi d’Égypte, demanda qu’on lui envoyât de Judée les Écritures prophétiques des Hébreux et les lit traduire par septante juifs versés en la. langue grecque. Dans son voyage en Égypte, donc, Platon ne put voirie prophète Jérémie, puisqu’il était déjà mort, ni lire les Écritures, puisqu’elles n’avaient pas encore été traduites dans la langue grecque dont il faisait usage. Peut-être, cependant, son très vif amour de l’étude le porta-t-il à s’instruire des Saintes Écritures des Juifs par l’intermédiaire d’un interprète, comme il lit pour les écrits des Égyptiens. Il ne se les serait pas fait traduire par écrit, comme Ptolémée… Mais il se serait fait expliquer verbalement tout ce qu’il pouvait comprendre de leur contenu. »

À l’appui de cette hypothèse, Saint Augustin établit divers rapprochements entre les enseignements du Timée et ceux de la Bible. Certains de ces rapprochements révèlent à l’Évêque d’Hip-

  1. Tertulliani Apolopeticus contra gentes, cap. XI.
  2. S. Aurelii Augustini De Civitate Dei lib. VIII, cap. XI,