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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

mot matière (ὕλη) et le mot corps (σῶμα) sont pris comme synonymes.

Toute matière (ὕλη) est douée de certaines qualités ; si nous la voulons priver de toute qualité, elle devient, tout aussitôt, inconcevable, ainsi que Saint Basile en avait fait la remarque.

Au contraire, de chaque qualité, la raison (λόγος) peut séparer la forme (εἶδος) du substrat, du sujet individuel (ὑποϰειμένον) où cette qualité se trouve réalisée. Si nous considérons, par exemple, un certain morceau de bois ou tout autre sujet individuel qui ait la consistance matérielle (ὑλιϰὴ σύστασις), nous en détachons par abstraction une multitude de concepts (λόγοι) : La grandeur, la masse, la couleur, la dureté etc. Ces concepts, nous ne les confondons pas les uns avec les autres, et nous ne les confondons pas, non plus, avec le corps.

Ces concepts, ils sont une vue intellectuelle, et nullement une vue corporelle, des qualités qu’ils nous représentent (Ὁ δὲ λόγος νοήτη τίς ἐστι, ϰαὶ οὐχὶ σωματιϰὴ θεωρία).

Or, il arrive ceci : Si nous concevons, séparément les unes des autres, chacune de ces qualités, la couleur, la grandeur, la résistance etc., et si nous détachons chacune d’elles du sujet individuel où elles étaient réunies, après que nous avons formé toutes ces vues de l’esprit, il ne reste plus rien du corps ; « la raison même du corps se trouve, par là même, entièrement dissoute ; πᾶς ὁ τοῦ σώματος συνδιαλύεται λόγος ».

« Puisque l’absence de ces choses est, comme nous venons de le découvrir, la cause de la dissolution du corps (σῶμα), n’est-il pas logique de supposer que le concours de ces mêmes choses enfante la nature matérielle (ὑλιϰὴ φύσις) ? Tandis, en effet, qu’il n’y a pas de corps où ne se rencontrent la couleur, la figure, la résistance, l’étendue, la masse et autres propriétés, aucune de ces propriétés n’est corps… Mais inversement, dès là que les propriétés dont nous venons de parler viennent à se réunir, la substance corporelle se trouve achevée. Οὔτω ϰατὰ τὸ ἀντίστροφον, ὅπου δ’ ἂν συνδράμῃ τὰ εἰρημένα, τὴν σωματιϰὴν ὑπόστασιν ἀπεργάζεται. »

Prises séparément les unes des autres, les diverses qualités sensibles sont de nature purement intellectuelle ; ce sont des concepts. Leur réunion engendre la nature matérielle, la substance corporelle. Telle est, de la matière, l’audacieuse théorie que développe Grégoire de Nysse, fort insoucieux, assurément, de la doctrine d’Aristote.

Dès lors, si les qualités, dont le concours enfantera le corps,