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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

» Il est donc plus convenable de donner à la matière le nom d’eau, alors que, soumise à l’opération de l’Artisan, elle s’insinue, par sa mobilité et son aptitude au changement, en chacun des corps naissants. »

Peut-être par ces désignations successives de terre et ciel, d’abîme, de terre, d’eau, faut-il seulement entendre la matière première des créatures corporelles. Peut-être aussi devons-nous croire[1] « que ce nom d’eau désigne la matière de l’universalité des créatures, des créatures intellectuelles, des créatures animées et des créatures corporelles ».

La même pensée se trouve exprimée par Saint Augustin dans son commentaire littéral achevé sur la Genèse : « Que faut-il entendre sous ce nom de ciel et terre ? dit-il[2]. Faut-il entendre que l’ensemble de la création spirituelle et corporelle a reçu ce nom de ciel et terre ? Faut-il l’attribuer seulement à la création corporelle ? Faut-il penser qu’en ce livre, l’auteur a passé sous silence la création spirituelle, et qu’il a dit ciel et terre afin de désigner toute créature corporelle, tant supérieure qu’inférieure ? Ciel et terre n’est-il pas dit plutôt de la matière informe de l’une et de l’autre création ? [La matière informe de la création spirituelle, ce serait] la vie spirituelle telle qu’elle peut être en elle-même, lorsqu’elle n’est point encore tournée vers le Créateur ; c’est, en effet, cette conversion qui lui donne forme et perfection ; tant qu’elle ne s’est point convertie, elle demeure informe. [La matière informe de la création corporelle, c’est ce que serait] la création corporelle si l’on pouvait, par la pensée, la priver de toutes les qualités corporelles qui se montrent dans la matière douée de forme, lorsque les corps sont déjà pourvus d’apparences susceptibles d’être perçues par la vue ou par les autres sens du corps ».

La vérité que Saint Augustin s’attache le plus fermement à affirmer, c’est que la matière première a été créée. Nous le lui avons entendu dire dans son commentaire inachevé sur la Genèse ; en son traité contre les Manichéens, où se trouvent nombre d’interprétations analogues à celles que nous venons de rapporter[3], nous lui entendrons développer ce même enseignement[4] :

« Il est très juste de croire que Dieu a fait toutes choses de rien ; bien qu’en effet, toutes les choses douées de forme aient été faites au moyen de cette matière informe, cette matière même a

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., Cap. IV, art. 17.
  2. S. Aurelii Augustini De Genesi ad litteram lib. I, cap. I, art. 2.
  3. S. Aurelii Augustini De Genesi contra Manichœos lib. I, cap. VII, artt. 11 et 12.
  4. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. I, cap. VI, art. 10.