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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

été faite du néant absolu. Nous ne devons point ressemblera ces gens qui croient que Dieu n’a pu, de rien, faire quoi que ce soit, parce que les ouvriers et les artisans ne peuvent rien fabriquer s’ils n’ont quelque substance à l’aide de laquelle ils fabriquent… L’ouvrier ne fait pas le bois ; avec du bois, il façonne quelque objet ; ainsi font tous les autres artisans. Mais le Dieu tout-puissant, pour produire ce qu’il voulait produire, n’avait besoin du secours d’aucune chose qu’il n’eût point faite. Si pour accomplir les choses qu’il voulait faire, il se fût aidé d’une chose qu’il n’avait point faite, c’est qu’il n’eût pas été tout-puissant ; ce serait un sacrilège de le croire. »

À cette affirmation : Dieu a créé de rien même la matière première, le Commentaire littéral à la Genèse ajoute des précisions Ces précisions joueront un grand rôle dans les discussions que la Scolastique chrétienne tiendra au sujet de la nature de la matière première ; il importe donc fort de les rapporter ici.

« La matière informe, dit Saint Augustin[1], n’est point antérieure dans le temps aux choses pourvues de formes ; ce dont tout devait être fait, et tout ce qui a été fait ont été créés en même temps. La voix est la matière des mots, et les mots sont la voix pourvue de forme ; or celui qui parle ne saurait émettre tout d’abord une voix informe, puis la recueillir ensuite et la mettre sous forme de mots. De même, Dieu créateur n’a pas, à une première époque, fait la matière informe pour l’informer ensuite, en une sorte de seconde considération, et l’ordonner suivant certaines substances naturelles ; il a créé la matière tout informée.

» Mais ce dont une chose est faite précède, sinon dans le temps, du moins par l’origine, la chose qui est faite. Aussi l’Écriture a-t-elle pu séparer en des temps différents du discours ce qui, dans l’œuvre de Dieu, n’était point partagé en époques différentes… Dieu a fait en même temps la matière qu’il a informée et les choses que, par cette information, il a produites dans cette n’a pu les énoncer simultanément ; n’a-t-elle pas dû, dès lors, nul n’en saurait douter, énoncer ce dont quelque chose a été fait avant de désigner ce qui a été fait au moyen de cela ? Nous aussi, lorsque nous disons : matière et forme, nous concevons l’une et l’autre en même temps, mais nous ne saurions les énoncer simultanément… Il a donc fallu, suivant le développement du récit, qu’une chose fût racontée avant l’autre, bien que, nous l’avons

  1. S. Aurelii Augustini De Genesi ad litteram lib. I, cap. XV Materia origine, non tempore, formam præcedit. Art. 29.