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LA COSMOLOGIE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

avec le temps, il est bien forcé d’accorder que l’homme a été créé dans le temps, qu’avant la création du premier homme, un certain temps s’était écoulé. Alors revient cette difficulté : À un temps pendant lequel Dieu ne voulait pas que l’homme fût, a succédé un temps pendant lequel le Créateur veut l’existence de l’homme, ce qui suppose un changement dans la volonté du Dieu immuable.

Cette difficulté, Saint Augustin ne la méconnaît pas ; il la regarde, à la fois, comme inévitable et insoluble. « Que Dieu, dit-il[1], ait toujours existé, qu’il ait, au bout d’un certain temps, voulu créer l’homme qu’il n’avait pas voulu créer auparavant, et qu’il n’ait point, cependant, changé d’avis ni de volonté, voilà qui est bien profond pour nous ».

L’argumentation de Saint Augustin ne parvint pas à convaincre les philosophes païens que le Monde ait pu avoir un commencement. Contre cette opinion, Proclus se fit l’avocat du Néo-platonisme. Il rassembla tout ce que Porphyre et ses successeurs avaient objecté contre la théorie de l’innovation de I’Univcrs ; il réunit ainsi, en faveur de l’éternité du Monde, dix-huit arguments ; le texte de ces arguments nous a été conservé par le traité où Jean Philopon s’attachait à les réfuter[2].

Tout ce que la Philosophie néo-platonicienne a pu opposer au dogme judéo-chrétien de la création se retrouve dans la plaidoirie de Proclus.

La cause de l’Univers, est-il dit au quatrième argument[3], doit être immobile. Si elle se mouvait, en effet, c’est qu’elle passerait de la puissance à l’acte, d’un état imparfait à un état plus parfait ; elle ne serait donc pas absolument parfaite. Or une cause immobile ne peut produire qu’un effet éternel ; elle ne saurait, en effet, passer de l’inactivité à l’activité, ce qui supposerait en elle un changement, un mouvement.

Dieu doit toujours se comporter de même manière, répète le dix-huitième argument[4] ; il ne peut être tantôt non-créateur et tantôt créateur ; l’œuvre créatrice n’a donc pu avoir de commencement.

Laissons de côté ces arguments qui se résument en cette affirma-

  1. S. Aurelii Augustini Op. laud., lib. XII, cap. XIV.
  2. Ioannes Philoponus De œternitate mundi contra Proclum, Edidit Hugo Rabe Lipsiœ, MDCCCXCIX.
  3. Joannis Philoponi Op. laud., Πρόϰλου Διαδόχου λόγος τέταρτος. Éd. cit. » pp. 55-56.
  4. Joannis Philoponi Op. laud., Πρόϰλου Διαδόχου λόγος ὀϰτωϰαιδέϰατος. Éd. cit., pp. 604-610.