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LES DIMENSIONS DU MONDE

vilégié ; avant toute étude des mouvements célestes, il nous suggère l’hypothèse héliocentrique.

Les évaluations des grandeurs astrales que Ptolémée et les astronomes arabes ont transmises aux chrétiens d’Occident n’avaient rien qui leur pût insinuer un telle supposition. Le Soleil surpassait si peu, en grandeur, des planètes telles que Jupiter ou Saturne qu’il était fort naturel d’attribuer à ces divers astres une nature semblable et des mouvements analogues. Plus gros que la Terre, il était, cependant incomparablement plus petit que l’ensemble des éléments contenus dans la concavité de l’orbe lunaire ; qu’il tournât autour de cette énorme masse immobile, il n’y avait, en cette supposition, rien qui fût choquant.

Si les grandeurs qu’ils attribuaient aux astres ne pouvaient, aux astronomes musulmans ou chrétiens du Moyen Âge, suggérer l’hypothèse héliocentrique, les dimensions qu’ils assignaient aux diverses orbites les détournaient, d’adopter cette supposition.

Seule, la distance de la Lune à la Terre, évaluée par les astronomes hellènes, était voisine de la distance qui sépare vraiment ces deux corps. Ptolémée avait placé le Soleil vingt fois trop près de la Terre. Les valeurs assignées par Al Fergani et par Al Battani aux distances entre la Terre et les planètes supérieures étaient faussées par des erreurs du même ordre. Les savants du Moyen Âge avaient imaginé un système solaire incomparablement plus petit que le système réalisé par la nature. Maïmonide, il est vrai, avait observé que les distances déterminées par les astronomes étaient des minima, et nous entendrons Campanus de Novare répéter la même observation ; mais, sans doute, ni Maïmonide ni Campanus ni aucun astronome médiéval n’eût songé que les distances calculées par Al Fergani, par Al Battani dussent être décuplées, voire même deux fois décuplées.

D’ailleurs, eût-il fait subir cette énorme correction aux nombres que les Anciens lui avaient transmis, qu’il n’y eût point acquis une plus juste idée de l’éloignement des étoiles fixes. Une théorie « dans laquelle il n’y avait rien de douteux » l’assurait que la plus grande distance de Saturne à la Terre mesurait le rayon de la sphère étoilée ; eût-il reculé quelque peu cette sphère afin de loger un de ces corps intermédiaires que réclamait la Physique de Thâbit ben Kourrah ou de Ibn-al-Haitam, qu’il n’eût point, pour cela, renoncé à cette affirmation : La distance des étoiles fixes à la Terre est du même ordre de grandeur que la distance de Jupiter et de Saturne.

Or cette affirmation entraînait la négation de l’hypothèse hélio-